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Précédemment, j’ai écris quelques conseils sur les manières d’apporter son soutien à un collègue en deuil. Beaucoup d’entre vous m’ont dit se reconnaître dans celui-ci et m’ont partagé des réflexions complémentaires.

Certaines concernaient la manière d’aborder ce sujet délicat dans le cadre professionnel. Il n’y a pas toujours besoin d’être proche ou ami pour ressentir de la compassion. Mais la témoigner est autrement plus compliqué.

Comment apporter son soutien à un collègue qui vient de perdre un proche ?

Cette question fait écho à un vécu personnel. Il y a quelques années, alors que j’étais consultante dans une société d’assurances, une de mes collègues a perdu son mari subitement.

La gêne à l’égard du collègue en deuil

Cela faisait à peine un an que Séverine et moi travaillions ensemble. Cependant, le partage chaque matin d’un café et de nos déjeuners avait installé une forme de proximité. Je n’étais pas pour autant une amie intime de Séverine. Je n’avais jamais rencontré son mari.

Pourtant la nouvelle de la disparition de son époux m’a profondément bouleversée… et a modifié notre relation.

Je ne me souviens pas des circonstances exactes dans lesquelles mes collègues et moi avions appris ce qui s’était passé, mais je me souviens exactement de la réaction assez étrange que j’ai eue. J’ai pensé « Comment se sent elle ? », « Comment réagirais-je si cela m’arrivait ? » et puis surtout, et juste après « Que dois-je faire ? ».

Alors, je me suis posé plein de questions sur ce que je pourrais faire pour lui témoigner ma compassion et mon soutien. Voudrait-elle qu’on la laisse tranquille ? Toute sa famille et ses amis devaient déjà être à ses côtés. Que penserait-elle si on lui écrivait ? Elle trouverait probablement cela touchant, ou au contraire oppressant que ses collègues s’immiscent ainsi dans sa vie privée. Je n’avais pas de réponse à ces nombreuses interrogations.

D’abord, je n’ai rien fait. J’avais le numéro de portable de Séverine, mais je ne l’avais utilisé qu’une fois, pour une urgence au travail. Ne me sentant pas légitime pour trouver les mots justes, j’ai en premier lieu préféré le silence plutôt que de prendre le risque d’écrire ou de dire quelque chose d’inopportun. Puis le lendemain, j’ai proposé à Yves, notre responsable d’équipe, d’acheter des fleurs. Cela peut paraitre vieille école mais les fleurs permettent d’exprimer des sentiments pour lesquels les mots sont difficiles à trouver. J’avais envie qu’elle sache que nous étions tous au courant de ce qu’il lui arrivait, qu’elle sache que nous étions sincèrement désolés pour elle.

Et puis, la veille de son retour, j’ai commencé à stresser. Fallait-il qu’on lui demande comment ça allait ? Parler du travail exclusivement pour la faire penser à autre chose ? J’aurais aimé qu’on me dise comment me comporter face à cette situation, qu’il existe une sorte de guide pour m’aider à savoir quoi dire.

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Au final, je crois avoir eu la pire réaction possible : j’ai évité Séverine. Enfin, n’exagérons pas, j’ai continué à la saluer, nous avons continué de parler du travail… mais je n’osais plus lui demander si elle avait terminé telle ou telle tâche, de peur de la brusquer. Je me sentais mal à l’aise si je devais me retrouver seule avec elle pour la pause déjeuner, je buggais lorsque je voyais sa photo de famille posée sur son bureau. Même le « ça va ? » rhétorique du matin avait disparu de mon vocabulaire tellement j’avais peur qu’elle me réponde « non ». En bref, je n’arrivais plus à me comporter de manière normale avec elle. L’écart entre le soutien que je voulais lui apporter et la froideur de ma réaction m’ont fait me remettre en question. Pourquoi étais-je devenue si distante ?

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Pour apporter des réponses concrètes à cette question délicate, je suis allée à la rencontre de Marc-Antoine Berthod, sociologue et chercheur à la Haute École de travail social et de la santé, à Lausanne en Suisse, et auteur avec Antonio Magalhaes de Almeida de Vivre un deuil au travail. La mort dans les relations professionnelles (Editions Les Cahiers de l’EESP, Lausanne, 2011).

Deux types de réactions sont fréquemment observées face au collègue endeuillé

Marc-Antoine m’a expliqué que la communication peut être menée différemment dans les trois temporalités 1. du décès, 2. des funérailles et 3. du deuil.

Alors que les deux premières étapes peuvent parfois être normées ou facilitées par certains codes et rituels (accord de congés exceptionnels, envoi de fleurs par l’entreprise ou les collègues), la phase de deuil, plus longue, désempare l’entourage du salarié.

Leur étude montre qu’il existe un « effet rempart » dans la circulation de l’information : chacun choisit ce qu’il va dire ou non, quand et à quel moment en fonction d’intérêts affinitaires. En d’autres termes, un deuil renforce souvent des liens qui préexistaient.

Le deuil comme élément déclencheur d’une relation de confiance

Vous vous sentez à l’aise avec votre collègue endeuillé, et lui apportez votre soutien de manière naturelle. Si votre comportement à son égard ne change pas, il partagera ce qu’il traverse sans tabou, s’il le souhaite et quand il en ressentira le besoin.

Les échanges cordiaux peuvent dans certains cas se transformer en liens plus forts et même installer une proximité nouvelle.

Le deuil du collègue comme source de gêne

Vous êtes mal à l’aise et cette situation vous paralyse. Marc-Antoine Berthod qualifie cette situation  « politique du soupçon » et la décrit de la manière suivante : les employés pensent au fond que les autres sont au courant, ce qui fait qu’on ne va pas forcément communiquer à propos d’un deuil, surtout si on n’est pas vraiment à l’aise.

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Et cela vaut aussi pour les personnes en deuil elles-mêmes qui peuvent penser que les autres sont au courant de leur deuil, ce qui n’est pas toujours vrai… D’où cette « politique du soupçon » : on suppose que l’autre sait mais qu’il ne fait rien.

Alors, comment réagir face à un collègue en deuil ?

Il est difficile d’apporter une réponse unique à une question si intime et dépendante :

  • De son lien avec le défunt,
  • De sa volonté d’en parler ou non,
  • Du lien à votre collègue,
  • Du caractère attendu ou non de la mort,
  • Etc.

Les conclusions des recherches de Marc-Antoine Berthod et Antonio Magalhaes de Almeida témoignent de la difficulté de répondre à la question qui fait le titre de mon article. L’ensemble des questionnaires administrés en situation de face à face et des entretiens menés au sein de 22 entreprises ont abouti à un constat partagé : la difficulté à exprimer le deuil dans un contexte professionnel est réelle, que ce soit pour les collègues du salarié endeuillé ou sa hiérarchie.

Les modalités de soutien au deuil dans les entreprises se limitent souvent aux dispositifs administratifs et réglementaires pour gérer des congés spéciaux et sont assez pauvrement prévues par les RH et les managers.

En tant que collègue, il est difficile de donner des conseils. Vous n’êtes obligés à rien et c’est votre sensibilité propre qui dictera vos actes et vos paroles. Les décalages existants entre les attentes des uns et des autres dans les situations de deuil rendent délicat l’émission de conseils « tout faits ». Cela est probablement une bonne nouvelle pour réagir avec humanité à ce type d’évènement difficile. Les conditions et modalités pour témoigner doivent donc rester guidées par le souci de rester spontané et informel.


 
Note sur l’auteure : entre cet événement personnel et 2018, Pauline a créé Une Rose Blanche. Elle propose aux personnes endeuillées de réaliser un livre de manière collaborative. Ce livre rassemble des témoignages sur le défunt et aide les proches dans leur travail de mémoire, accompagnant ainsi le deuil.
En alternative ou en complément aux fleurs, vous pouvez vous aussi offrir ce cadeau à votre collègue en deuil. Une fois prêt(e), il/elle pourra initier avec l’entourage du défunt un livre en son hommage. Vous aurez déjà réglé l’impression du livre. Pour pré-commander le livre Une Rose Blanche et savoir comment l’offrir, contactez-nous.

Photo de l’article : Norbert Levajsics

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