Quand je serai mort, j’aurai toutes les qualités
Si les sentiments de tristesse, de manque, de désespoir ou d’injustice sont les plus souvent évoqués, ce que l’on ressent lors d’un décès peut parfois être plus complexe. Les non-dits, les regrets, les remords, la culpabilité sont autant d’émotions qui peuvent aussi nous envahir dans le temps qui suit la perte d’un proche.
Quand je serai mort, j’aurai toutes les qualités
Cet article va peut-être en choquer certains : il évoque des sentiments plus gênants, douloureux et moins naturels que ceux que l’on ressent lorsque l’on pense à la perte d’un être aimé. Et néanmoins, je l’écris car son contenu n’est pas le résultat de mon imagination. Il est le fruit de discussions émouvantes et sincères qui m’ont fait réfléchir sur cette question : Quand je serai mort, j’aurai toutes les qualités, vraiment ?
Les défunts n’auraient-ils que des qualités ?
Plusieurs personnes à qui j’ai parlé de faire un livre d’or Une Rose Blanche en hommage à leurs parents ou grands-parents défunts m’ont répondu par la négative. Voici quelques exemples de réflexions entendues pour l’expliquer :
« Tu sais, il n’y avait pas beaucoup de monde à son enterrement ». « Il paraissait parfait en public, mais je trouve qu’il était très dur avec ma grand-mère, il l’a beaucoup fait souffrir », ou encore « Il ne s’est pas beaucoup occupé de nous quand nous étions enfants, il n’y a que son travail qui comptait ».
Parle-t-on bien de la même personne ?
Encenser le défunt est courant lors de funérailles. C’est même la norme car brosser son portrait participe aux rituels du deuil. Camille m’a raconté ce sentiment étrange lors des obsèques de son grand-père : les hommages de la famille, la lecture de poèmes très touchants mais qui ne reflétaient pas son émotion.
« Lors de la cérémonie, il a été encensé. Pour ma part, je n’ai que quelques rares souvenirs positifs passés lui. Avec sa disparition, les gens auraient-ils tous oublié à quel point il était égoïste et colérique ? Même ses problèmes d’alcoolisme qui faisaient tant pleurer maman chaque soir pendant des années semblent s’être transformés lors des funérailles en qualité de « bon vivant ». Le rituel m’a paru un peu hypocrite ».
Il a reçu certains hommages qu’il ne méritait pas selon elle.
La difficulté de faire le deuil d’une personne avec laquelle on n’a pas pu se réconcilier
Néanmoins, elle m’a raconté que ce départ soudain l’avait chamboulée. Il était de sa famille, son aïeul et il y avait un lien indéfectible avec lui. Avait-elle loupé quelque chose ? Avant son décès, elle aurait aimé avoir le temps d’échanger avec lui, comprendre son comportement, qu’il s’excuse et peut-être même se réconcilier avec lui avant son départ.
Comme elle n’a pas pu faire ce travail de pardon avant son départ, celui-ci l’a laissé avec une culpabilité de n’avoir su préserver une relation familiale proche.
Faire le deuil d’une personne avec laquelle on n’a pas pu se réconcilier peut être plus difficile encore qu’avec quelqu’un avec qui on était en paix. On refait l’histoire dans sa tête. On imagine des discussions où tout est expliqué, excusé, pardonné. Ou on contraire, on accuse à tort le défunt d’être la cause de tous nos problèmes. Dans tous ces cas, le deuil, qui parait pourtant plus simple peut provoquer des réactions plus violentes et complexes à gérer dans la durée.
Avec la mort, on pardonne tout ?
Les rituels funéraires nous imposeraient-ils de ne dire que des choses positives du défunt ? Je n’ai pas encore trouvé de réponse à ce sujet.
Il y a quelques mois, j’avais posé une question similaire à Nicole et sa réponse, qui n’engageait qu’elle m’avait parlé. Pour elle qui accompagne les familles dans la peine lors de l’organisation de funérailles catholiques, la réponse avait été la suivante :
« Lorsqu’on parle aux familles et qu’on se rend compte que le défunt laisse des blessures auprès de son entourage, on reste pudique sur le sujet à l’oral mais chacun pense aux blessures intérieures qu’il porte. Je suggère souvent aux personnes présentes de profiter des funérailles pour demander pardon : demander pardon pour le mal que le défunt a fait autour de lui, et demander pardon pour nous-même d’en vouloir au défunt ».
Il ne s’agit donc pas d’oublier le passé douloureux, de faire comme s’il n’existait pas. Mais au contraire de l’accepter, de le comprendre et de mieux vivre avec.
Il s’agit surtout de ne pas dénigrer les bons moments partagés. Les plus affectés d’entre nous par les blessures de la vie ont tendance à oublier les qualités du défunt, ce qu’il nous a apporté et comment il a contribué à faire de nous ce que nous sommes.
Quels enseignements pour nous vivants ?
Christophe Fauré, psychiatre, intervenait il y a quelques mois à la télévision sur le thème « Partir le cœur apaisé ».
Les personnes en fin de vie se posent généralement trois questions :
- Qu’est-ce que j’ai donné de moi ?
- Comment j’ai aimé ?
- En quoi j’ai fait la différence dans la vie de quelqu’un ?
Ces trois questions sont pour lui un fort enseignement pour nous tous qui nous ne sommes pas encore proches de la mort : quels actes, quelles décisions, quels choix de vie faire pour ceux que j’aime ou pour les autres au sens large ? Quand je serai à la fin de ma vie et que je regarderai en arrière, que je ferai cette relecture de mon existence, je voudrais pouvoir me dire « Ok, ça a été une vie qui a eu du sens, j’ai réussi ma vie, je peux partir le cœur apaisé ».