Un cimetière dans mon téléphone
A tous ceux qui ont le numéro de téléphone d’un défunt …
Vous allez penser que je suis dans ma période radio et podcast, mais actualité oblige, la chronique de Sophia Aram sur l’anniversaire des 4 ans de l’attentat de Charlie Hebdo fait une fois de plus écho en moi.
Au-delà de son ton habituel polémique et provocateur, elle met le doigt sur une question plus intime et sensible que je me suis posée… et que j’ai longtemps esquivé : quand effacer le numéro de téléphone du défunt ? Y a-t-il une durée recommandée pour les effacer ?
Un cimetière dans mon téléphone
Chronique de Sophia Aram du 7 janvier 2018
Je connaissais par cœur les numéros de téléphone fixe de mes grands-parents, que j’avais appris quand j’étais jeune et que le portable n’existait pas. Quand eux je les appelais, leur numéro de téléphone me revenait à l’esprit de manière machinale.
Après les décès d’Alex et d’Anne-Sophie, la question s’est imposée à moi en différentes étapes.
Phase 1 : Garder le numéro de portable du défunt dans mon mobile à tout prix
Dans les premières semaines et les premiers mois, il était hors de question de supprimer quoi que ce soit. Relire les derniers SMS échangés était même peut-être une forme de fétichisme. Comme on voudrait s’enrouler dans les vêtements de celui qu’on aime ou qu’on a aimé, relire ces messages m’obsédait. Entre la déception de « C’est donc ça la dernière chose que je lui ai écrite », la frustration du « Si j’avais su que c’était le dernier message qu’on s’échangeait, je lui aurais dit… combien je l’aimais… merci pour tout ce que tu m’apportes… »
Phase 2 : Se sentir troublé chaque fois qu’on retombe sur le numéro de téléphone du défunt par hasard
Il y a eu ce jour où j’allais écrire un message whatsapp sur notre groupe d’amies et j’ai réalisé qu’Anne-So en était… Alors j’ai été coupée dans mon élan. J’ai créé un nouveau groupe.
Et puis toutes ces autres fois où je voulais envoyer un message à Anne et où je vois juste en dessous dans ma liste de contacts, le nom d’Anne-So apparaître…
Cela fait plusieurs mois maintenant qu’elle n’est plus là. Ce serait normal de supprimer ce numéro. C’est bizarre de vouloir garder une forme de « cimetière dans mon téléphone ». Mais pourtant, non, impossible. C’est comme si la supprimer de mon carnet de contacts serait la faire mourir une deuxième fois.
Phase 3 : Tourner la page, ou être forcé de tourner la page
Au final, je n’ai jamais senti le courage de supprimer les numéros de téléphone de mes amis disparus. De la même manière, je n’ai jamais eu le courage de les retirer de ma liste d’amis Facebook.
Cet été, mon ancien téléphone portable a rendu l’âme. N’étant pas une geek dans l’âme, ma sauvegarde Iphone avait échoué, j’ai perdu moitié de mes contacts. Dont celui d’Anne-So. Le numéro d’Alex n’avait déjà pas survécu au premier changement de mobile. Je n’ai pas sciemment tourné la page mais c’est comme si la technologie m’avait forcé à aller de l’avant.
D’autres manières de se souvenir qu’en gardant une trace dans un téléphone
Au fond, que garder ou supprimer ces numéros de téléphone soit perçu comme « fétichiste, respectueux ou con » pour reprendre les mots de Sophia Aram, n’est pas vraiment ce qui compte. Et définir une date « raisonnable » pour supprimer cette trace n’est pas non plus recommandable. Certains vont vouloir le faire dans les jours qui suivent. D’autres vont s’y attacher coûte que coûte, pour voir parfois des signes de celui ou celle qui leur manque tant.
La mémoire de nos proches disparus passe bien sûr par quelque chose de beaucoup plus profond : des souvenirs communs, des émotions quand on repense à eux, des musiques sur lesquelles on se dit « Ah c’est la musique sur laquelle elle aimait chanter au karaoké », des lieux dans lesquels on se rend en pensant rapidement « on est venu dîner ici le soir de l’anniversaire d’Audrey »…
C’est pour ne pas oublier et témoigner de la valeur de tous ces souvenirs partagés qu’Une Rose Blanche a été créée. Et cela, j’en suis fière.
Photo de l’article : Chad Madden